© Laurent Willenegger

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Jardin sauvage – Polar polaire

Chapitre 6 : Thèses, hypothèses et antithèses

Un rouge-gorge est mort. L'enquête sur les causes du décès se resserre autour d'une hypothèse, la maladie. Mais tous les indices ont-ils été pris en compte?

Un rouge-gorge est mort. L'enquête sur les causes du décès se resserre autour d'une hypothèse, la maladie. Mais tous les indices ont-ils été pris en compte?

Tout en creusant la terre durcie avec une petite pelle, au lendemain d'une nuit à nouveau peuplée de rêves aux créatures ailées aussi étranges que diaboliques, je réfléchissais. De quoi avait bien pu mourir ce rougegorge ? Un empoisonnement ? Maladier, le voisin, inondait certes ses arbres et ses carrés de légumes de cocktails chimiques douteux. Théophile le surnommait d'ailleurs « le Père Seveso ». Mais nous étions en hiver, et en ce moment il soignait ses rhumatismes au plus près du poêle.

Et Germaine Dumaugin ? La vieille dame n'aurait pas fait de mal à une drosophile. Même s'il avait fallu lui expliquer à plusieurs reprises que, non, le pain sec n'était pas un aliment sain pour les oiseaux. Pas plus que les cacahuètes salées ou les restes de chips. Une fois l'information enregistrée, ce qui avait mis du temps, elle s'était mise à concocter divers pâtés de graines à la graisse d'oie et mettait de côté ses plus belles pommes pour ses protégés. Germaine ne pouvait être en cause, et son matou obèse non plus. Le froid lui faisait le même effet qu'à Robert Maladier. Et même s'il s'était risqué dehors, son instinct de chasseur se résumait à de vagues mouvements de queue désabusés au passage d’oiseaux cent fois trop rapides pour lui !

Soudain me vint une idée. La fouine de cette nuit aurait-elle tenté de croquer la victime, petit encas dodu bienvenu en ces débuts d'hiver neigeux ? Hypothèse vite balayée, car comment expliquer l’absence de blessures, le plumage seulement ébouriffé ? Elle n'était pas en cause. Pas plus que l'effraie, chasseur occasionnel de passereaux, ni même l'épervier que je voyais parfois passer comme une flèche puis disparaître dans les bosquets.

Un tueur invisible, qui sacrifie sans manger, assassine sans blesser... Quel casse-tête ! Commissaire Adamsberg, à l'aide ! Je scrutai les maisons alentour et constatai l'absence de baies vitrées et de vérandas. Parfois, une seule fenêtre peut suffire pour qu’un volatile s’y assomme...

Finalement, ce pouvait être plus trivial que ça en avait l'air. Le rougegorge avait probablement contracté une méchante salmonellose ou un virus en fréquentant une mangeoire. CQFD. Triste, mais banal. De fait, ma conscience se sentait soudain moins tranquille. Quand avais-je pour la dernière fois désinfecté les plateaux ? Une semaine ? Deux ? D'enquêtrice je devenais coupable potentielle. Involontaire mais responsable quand même. Nettement moins confortable, comme rôle !

Le profil bas, rentrant dans la maison, je ne répondis rien au haussement de sourcil interrogateur de Théophile, qui leva le nez de sa cocotte. Il resserra son tablier, abaissant le cordon qui lui serrait le tour de taille, et retourna à ses cuissons.

Je recherchai fébrilement sur divers forums ornithologiques quels symptômes les maladies aviaires les plus courantes pouvaient entraîner. Si le mal n'était pas fulgurant, ce qui semblait rare, l'oiseau se tenait prostré, se réfugiait dans un coin, les yeux mi-clos. Or j'avais trouvé le passereau mort dans une zone nue, avec des traces trahissant des mouvements vigoureux. De plus, le rougegorge n'était pas l'oiseau le plus assidu au nourrissage, fréquentant surtout une boule de graisse un peu à l'écart. Si la maladie était contagieuse, pourquoi aurait-il été le seul atteint et pas les autres oiseaux ?

Je guettai des signes de faiblesse dans la bruyante troupe de pinsons qui s'agitait au pied du prunier. Leur tintamarre était rassurant. Les mésanges jouaient les acrobates, la sittelle venait d'atterrir au milieu du tournesol. La merlette s'agitait, perchée sur la haie, tout comme ce rougegorge, sur le cornouiller sanguin.

Un rougegorge ? Oui, un très bel Erithacus rubecula se pavanait sur l'arbre aux rameaux pourpres. Le comble, il se mit à chanter à pleins poumons, la poitrine gonflée, le bec un peu relevé. La mélodie de l'imposteur différait légèrement de celle à laquelle j'étais habituée. Elle sonna moins joliment à mes oreilles.

La suite... au prochain épisode! Tout nouveau tout beau

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Couverture de La Salamandre n°207

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 207  Décembre 2011 - Janvier 2012, article initialement paru sous le titre "Thèses, hypothèses et antithèses"
Catégorie

Dessins Nature

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