© Denis Clavreul

A la source du printemps

D’où vient l’eau des rivières ? De la montagne assurément. Remontons un torrent à contre-courant jusqu’à la neige qui alimente ses flots.

D’où vient l’eau des rivières ? De la montagne assurément. Remontons un torrent à contre-courant jusqu’à la neige qui alimente ses flots.

Il y a deux semaines, le torrent coulait silencieux, presque au compte-gouttes. Mais au fil des jours, rigoles et petits affluents ont gonflé son débit. Aujourd’hui, il est devenu rivière bouillonnante.
D’où vient toute cette eau, alors que l’anticyclone des Açores déploie un splendide ciel bleu cobalt ? De l’amont, c’est clair. Allons-y alors, remontons les berges jusqu’au pays des aigles, là où l’hiver ne veut pas se terminer...

Altitude 1450 m Gourde remplie, souliers lacés… et c’est parti ! Au milieu de la rivière, sur un banc de galets et de sable, un argousier exhibe des baies orangées un peu flétries. Aussi appelé saule épineux, cet arbuste pionnier adapté à la sécheresse fleurit entre avril et mai. Ses fruits, ou argouses, mûrissent en automne mais peuvent rester sur la plante tout l’hiver. Ses feuilles gris argenté contrastent avec le vert vif des aulnes et des saules de la forêt alluviale en arrière-plan.

Torrent source du printemps
Torrent de montagne gonflé par la fonte des neiges printanière. / © Denis Clavreul

Altitude 1670 m Après une heure de montée le long de la rive jaune de populages, un gros insecte traverse le sentier et se défile entre les benoîtes. Corps allongé, ailes repliées sur l’abdomen, deux cerques à l’arrière : c’est une perle adulte dont l’émergence hors de l’eau est probablement toute récente. Pendant les quelques années passées sur le fond du torrent, sa larve a résisté à la violence des crues, survécu au gel, puis à la pénurie d’eau en été. Le bec du cincle plongeur est passé plusieurs fois tout près d’elle. Quel miracle qu’elle soit là aujourd’hui ! Mais parviendra-t-elle à se reproduire avant de se faire capturer par la bergeronnette, si habile à intercepter tout vol hésitant au-dessus des flots ?

Altitude 1940 m Ouf! Sandwich et gorgée d’eau. C’est le moment de reprendre son souffle avant une ultime grimpette. Troublé par les sédiments, le torrent se faufile entre cônes de déjection et éboule­ments. Puis voici enfin les pelouses alpines. Ici, la neige fond sous le soleil en sillonnant de larmes les flancs abrupts de la montagne. Soldanelles, tussilages et crocus tapissent le sol brun. Les marmottes, réveillées depuis quelques semaines, en profitent pour les croquer entre deux siestes au soleil. Soudain, c’est l’alerte : un couple d’aigles royaux tournoie entre les sommets.

Altitude 2300 m Un dernier effort et voici l’hiver. A cette altitude, le paysage est encore presque totalement enneigé. Mais les pipits spioncelles sont déjà en pleine activité. Toujours en criant, ils capturent moucherons et papillons migrateurs sur les névés. Quelques traquets motteux, fraîchement débarqués de leur grand voyage transsaharien, s’approprient déjà un territoire. Pas de doute, ici le printemps frémit deux mois plus tard qu’en plaine.
L’été, en ces lieux austères, sera extrêmement court. Quelques dizaines de jours seulement pour fleurir, pour pondre, pour fructifier ou élever ses jeunes. Puis déjà l’automne et ses premières neiges.

Torrent source du printemps
Torrent de montagne bordé de gentianes. / © Denis Clavreul

Rivières à régime

Impressionnant… Tel peut être défini le débit d’une rivière alpine au mois de mai ! Très faible en automne et en hiver, la quantité d’eau peut être nettement plus importante en début d’été en raison de la fonte des neiges. Le régime hydrologique d’un tel cours d’eau est alors qualifié de nival. En revanche, si des glaciers occupent une partie importante du bassin versant, le pic saisonnier se situe plutôt en juillet-août, lorsque l’ensoleillement et donc la fonte des glaces sont les plus intenses. On parle alors de régime glaciaire.

Torrent source du printemps
Argousier, Hyppophae rhamnoides / © Denis Clavreul

Jus spatial

L’argousier faux nerprun est un pro de l’extrême. Cet arbuste frugal tolère des températures comprises entre -43°C et +40°C. Indifférent à la sécheresse aussi bien qu’aux inondations, c’est l’un des premiers ligneux qui colonise les grèves après une crue. Il fréquente aussi les côtes maritimes, malgré les embruns chargés de sel. Son écorce, ses feuilles et ses fruits sont utilisés dans de nombreux produits pharmaceutiques et cosmétiques. D’ailleurs, les argouses hyperriches en vitamines C et E étaient employées dans des préparations alimentaires pour les premiers astronautes russes… Et certaines boissons pour sportifs contiennent toujours du jus d’argousier. Acides crues, les argouses ont un goût impérial en confiture, compote, gelée ou liqueur. A vos fourneaux !

Torrent source du printemps
Perles / © Denis Clavreul

Perles d’eau 

Les Anglais les appellent mouches de pierre car elles se posent souvent sur des galets au bord de l’eau. Ce sont les perles ou plécoptères. Les larves de ces insectes primitifs habitent les eaux oxygénées. Grâce à de longues griffes au bout de leurs pattes, elles s’accrochent aux pierres sans se faire emporter par le courant. Les perles sont très sensibles à la pollution : ce sont d’excellents indicateurs de la qualité d’un cours d’eau. Après l’émergence, leur vie ne dure que quelques jours à quelques semaines. Juste le temps de s’accoupler et de pondre dans l’eau. Pendant ce bref ballet aérien, elles boiront peut-être mais ne mangeront absolument rien.

Torrent source du printemps
Marmotte / © Denis Clavreul

Recharge estivale

Six mois d’hibernation, ça donne soif ! Lors de ses premières sorties printanières, la marmotte lèche la neige pour se désaltérer. Ensuite, les plantes qu’elle ingère lui fournissent l’eau nécessaire et elle ne boit plus que rarement. En été, elle passe près de 50% de son temps d’éveil à manger, jusqu’à 70% chez les marmottons. Entre août et septembre, le gros rongeur broute jusqu’à 1,5 kg de végétaux par jour et accumule au total autant de graisse… Une réserve indispensable pour jeûner tout l’hiver.

En pratique, lisez nos 3 conseils pour une balade vers la source d'un torrent montagneux.

Couverture de La Salamandre n°227

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 227  Avril - Mai 2015
Catégorie

Biodiversité

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