© Bertrand Bodin

Cet article fait partie du dossier

Le tichodrome, l’oiseau papillon

Le rendez-vous secret entre le tichodrome et un photographe

Le poète photographe Christophe Sidamon-Pesson travaille depuis des semaines dans la grande paroi. Tout près de lui virevolte le tichodrome.

Le poète photographe Christophe Sidamon-Pesson travaille depuis des semaines dans la grande paroi. Tout près de lui virevolte le tichodrome.

C'est un paquebot de pierre monumental échoué quelque part dans les Alpes françaises, une paroi verticale inondée de soleil et striée d'ocres et de gris. Ici ou là s'accrochent quelques touffes d'herbe, un buisson rachitique suspendu dans l'abîme. Un peu plus bas, l'eau a creusé des petites niches, des aspérités où se cache peut-être l'oiseau mystérieux. Mais pourquoi serait-il ici et pas sur n'importe quel autre versant ? Parce qu'un amoureux du tichodrome échelette a accepté de dévoiler son secret. Ce 23 juin 2012 à 10 h, il a donné rendez-vous à La Salamandre au pied de sa falaise sacrée.

Le tichodrome se montre du bout des ailes / © Christophe Sidamon-Pesson

Christophe Sidamon-Pesson est assis face à la montagne, la peau tannée par le soleil, les yeux brillants de passion. Cela fait des semaines que ce photographe renommé travaille ici en solitaire. Depuis quatre ans, chaque printemps il retourne au tichodrome. Ce temps lui a permis de mettre toute sa sensibilité au service de l'oiseau pour des images impensables avant l'avènement de la photo numérique.
Christophe attend. Il espère l'apparition d'une pulsation de plumes quelque part au flanc de la montagne...

Un frémissement de couleur à l'ombre d'un surplomb révèle une présence. On dirait une souris grise plaquée contre la roche, une pierre contre la pierre. Mais ses ailes battent à intervalles réguliers comme un cœur rouge. Des ailes ahurissantes, larges, arrondies, démesurées, carmin vif avec du noir ponctué de lunes blanches. «Regarde! C'est le mâle! En cette saison, on le reconnaît facilement à sa gorge noire jusqu'à l'œil.»

Mi-grimpeur, mi-planeur

Tout à coup le tichodrome démarre, court sur la roche les ailes ouvertes. Il avance par bonds en virevoltant comme un papillon. Ses pattes incroyables adhèrent aux prises les plus infimes. Il a la technique du grimpeur, sa légèreté, sa connaissance de la roche... et en plus des ailes si larges que le moindre courant d'air le pousse vers le haut sans effort. Pendant ce temps, son bec incurvé fouille méthodiquement les failles les plus fines. Emu comme si c'était la première fois, Christophe reprend : « Comment un tel oiseau peut-il exister ? C'est un miracle qui me porte, qui me transporte ! C'est une apparition qui me questionne sur le sens à donner à la vie. »

Le tichodrome n'est pas le seul à fréquenter la falaise. Quelques hirondelles de fenêtre et des choucas des tours se sont installés dans des cavités. Ils vont et viennent pour nourrir leurs poussins. Le faucon pèlerin et le grand corbeau nichent également non loin de là. Mais lui seul est capable de se nourrir contre la roche et d'y élever ses jeunes. A vrai dire, le tichodrome échelette porte bien son nom. Tichodrome, c'est en grec celui qui court sur un mur. En anglais, c'est le wallcreeper , en allemand le Mauerläufer . Et échelette est un souvenir du vieux verbe écheller pour grimper avec une échelle.

Rêve prémonitoire

Christophe Sidamon-Pesson est attiré depuis toujours par la nature la plus sauvage. Gamin, il passait tout son temps libre dehors et ne rêvait que de s'établir dans les montagnes du Queyras. Il a commencé la photographie très jeune et a remporté de nombreux prix prestigieux. Dans le très beau livre édité aux éditions Hesse qu'il a dédié à son oiseau fétiche, le montagnard s'interroge sur l'intérêt que suscite cette curiosité de la nature. « Pourquoi cet oiseau discret provoque-t-il autant de passion chez l'être humain ? Sans doute parce qu'il vit dans un milieu dont l'inaccessibilité nous fascine depuis toujours. Sans doute parce que les interrogations qu'il suscite sont associées à la rareté de ses brèves rencontres. Sans doute parce que ses lignes et ses couleurs nous mènent à penser que nos rêves les plus inattendus ont franchi la barrière qui sépare le rêve de l'imaginaire. »

Pour Christophe, tout a commencé il y a très longtemps par un rêve nocturne. Dans son sommeil, il a vu passer l'oiseau papillon au-dessus du village où il allait s'installer. Le tichodrome, il ne le connaissait encore que par des illustrations dans des livres. Or, une semaine plus tard, de façon extrêmement troublante, le tichodrome était là dans le village pour y passer l'hiver. « Si mes premières images étaient souvent floues, ce n'était pas si grave. Cela me permettait de garder un peu de lui. Et déjà, mes désirs murmuraient qu'un jour la rencontre devrait avoir lieu dans le véritable univers de l'oiseau, dans la muraille que la montagne avait elle-même édifiée. » Dix-neuf ans après cette première rencontre, la passion demeure. Heureux au pied de cette montagne dont il a été promis de taire le nom, Christophe continue de se surpasser pour honorer la beauté du tichodrome échelette.

Christophe Sidamon-Pesson en pleine action / © Bertrand Bodin

Christophe Sidamon-Pesson

Le poète-photographe

  • 1975 : naissance à Paris.
  • A 4 ans, premiers séjours dans les Hautes-Alpes.
  • 1994 : première rencontre avec le tichodrome en plein hiver dans le village de Ceillac.
  • 2005 : primé au BBC Wildlife Photographer of the Year.
  • 2008 : publie avec Michel Blanchet L'autre versant, regards sur le Queyras , aux éditions Hesse.
  • 2009 : avec l'aide d'amis grimpeurs, suit pour la première fois la nidification du tichodrome.
  • 2011 : parution de Tichodrome, follet de l'à-pic également aux éditions Hesse.

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Le tichodrome, l’oiseau papillon

Couverture de La Salamandre n°217

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 217  Août - Septembre 2013, article initialement paru sous le titre "Le rendez-vous secret"
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