© Bertrand Desprez

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Grillon, nos révélations !

La dame aux grillons du Muséum de Paris

Que possèdent donc ces sacrés grillons qui fascinent tant l'homme ? Et amènent la chercheuse Laure Desutter-Grandcolas à leur consacrer son existence ?

Que possèdent donc ces sacrés grillons qui fascinent tant l'homme ? Et amènent la chercheuse Laure Desutter-Grandcolas à leur consacrer son existence ?

Paris, rue Buffon. Un bâtiment gris en face du Jardin des Plantes. C'est depuis là que l'équipe d'entomologistes du Muséum national d'histoire naturelle étudie les insectes du monde entier. Parmi eux, une femme se passionne depuis trente ans pour les grillons, au point d'être devenue une référence dans son domaine.

Laure Desutter-Grandcolas, qu'est-ce qui vous fascine tant chez ces insectes ?

Les grillons sont magnifiques quand on les regarde à travers une loupe binoculaire. Et puis, beaucoup d'entre eux ne sont pas faciles à trouver dans la nature. Il y a un vrai challenge ! Il faut cibler ses recherches, écouter son intuition. Chez nous comme sous les tropiques, beaucoup sont nocturnes et vivent en milieu forestier. J'aime bien la nuit en forêt. Et surtout, ces insectes chantent remarquablement bien. Toute leur évolution est déterminée par la structure de leur appareil stridulatoire. Quand j'étais étudiante, je m'intéressais déjà à la communication acoustique entre les animaux.

Etes-vous vous-même musicienne ?

Pas vraiment, je gratte un peu ma guitare, mais suis loin d'égaler les grillons ! Et ceux-ci posent des questions fascinantes. Comment plusieurs espèces peuvent-elles cohabiter au même endroit sans que leurs chants se parasitent mutuellement ? Comment se faire remarquer d'un partenaire tout en évitant les prédateurs ? Comment la structure du milieu influencera-t-elle la propagation des signaux ? On sait par exemple que les oiseaux forestiers privilégient des fréquences basses, car celles-ci se propagent particulièrement bien dans un environnement plein d'obstacles. Qu'en est-il chez les orthoptères ? A tous ces points de vue, le modèle biologique grillon est particulièrement riche.

L'éthologue américain Richard Alexander, qui a étudié toute sa vie le comportement de l'homme, des chevaux tout comme des insectes, a écrit un jour que le chant du grillon est un sommet de l'évolution. Qu'en pensez-vous ?

(Rires) Je suis évidemment d'accord ! Contrairement aux criquets et à la plupart des sauterelles, le grillon a un chant très musical. Sa fréquence fondamentale correspond très exactement à la vitesse de fermeture des élytres pendant la stridulation et en même temps à leur fréquence de résonance maximale. C'est cette correspondance troublante qui fait dire à Alexander que c'est un appareil musical véritablement parfait. Et c'est cela qui le rend si musical à notre oreille.

L'appareil musical des grillons aurait atteint au fil du temps une grande simplicité ?

Au contraire ! La complexité de la structure de l'élytre est tout simplement sans équivalent. Si nous voulions produire le même son avec un robot grillon, nous en serions incapables. Eux pourtant savent le faire ! Il faut aussi dire que, pour l'instant, seuls quelques chants particuliers ont été étudiés en détail. On ignore presque tout des 5000 espèces qui peuplent les cinq continents. Dans ce domaine, il y a tout à découvrir !

Serait-ce ce talent spécial du grillon qui explique son lien particulier avec l'homme ?

On ne sait pas très bien comment tout cela a commencé. Le premier contact avéré entre les orthoptères et l'homme, c'est une gravure faite sur un morceau d'ivoire qui date de plus de 10'000 ans. En 1923, l'entomologiste Lucien Chopard a montré que cette gravure représente un rhaphidophoride, autrement dit une sauterelle qui vit dans les grottes.
Partout, le grillon est un symbole de félicité et de chance, comme on le voit dans les traditions populaires ou encore dans Le grillon du foyer de Charles Dickens. Dommage qu'il en reste si peu dans le métro parisien.

La relation entre le grillon et l'homme est particulièrement développée en Chine et au Japon...

Oui, mais cela a aussi existé en Europe, en particulier dans le sud de la France. Un collègue plus âgé me racontait que, dans son enfance, les gens conservaient encore des grillons pour leur chant dans des petites cages.

La sensibilité des tympans et des soies sensorielles des grillons est exceptionnelle. Demain, l'homme s'en inspirera-t-il ?

C'est déjà le cas ! La bionique est la science qui s'inspire de la nature pour développer de nouvelles technologies. L'Union européenne a par exemple financé des études sur plusieurs années pour comprendre comment fonctionnent les soies des cerques des grillons. Mais à ce jour, l'homme n'est pas encore parvenu à développer des senseurs qui égalent leur prodigieuse sensibilité aux courants d'air. Quant aux tympans, les recherches avancent. On aimerait simuler leur fonctionnement pour réaliser des appareils auditifs hyper performants et miniaturisés.

Autrefois, le grillon portait bonheur. Aujourd'hui, on l'élève par millions dans des boîtes stériles pour l'expérimentation animale et pour nourrir les « nouveaux animaux de compagnie ». Que pensez-vous de cette évolution ?

Je suis consternée. Tout cela illustre la complète déconnexion de l'homme avec la nature. Quand je vois des enfants avoir peur d'un inoffensif grillon, je me dis qu'on a vraiment perdu quelque chose d'essentiel. Aujourd'hui, nous vivons dans des cages aseptisées ou peu s'en faut. Le dernier contact qui reste souvent avec la nature, c'est les blattes qui pullulent dans nos ordures.
Ce qui me frappe quand je rentre d'un séjour sous les tropiques, c'est l'absence de couleurs et de bruits. Certaines personnes sont peut-être contentes qu'il n'y ait plus d'insectes, plus d'araignées, mais ce monde-là est bien triste.

Si les insectes sont si fascinants, pourquoi tant de gens en ont-ils peur ?

Je ne crois pas qu'il existe de phobie des grillons comme il y en a pour les araignées ou les mille-pattes... Dans beaucoup de pays, les insectes posent aujourd'hui encore de réels problèmes d'alimentation et de santé publique. Mais plus chez nous, hormis les blattes.
Le développement de ces phobies est certainement lié à notre éloignement du monde naturel. Par méconnaissance, on perd en quelque sorte la juste appréciation des choses. Pour ma part, je déteste les araignées... chez moi ! Mais dehors, leur présence me paraît normale, même si elles dévorent mes insectes préférés.

Vous étudiez les grillons depuis 30 ans. Vos prochains défis ?

Actuellement je travaille sur la phylogénie de l'ensemble des grillons, à savoir sur leur classification et en même temps sur l'histoire de ce groupe en considérant les espèces fossiles. Je mets également à profit de nouveaux outils de visualisation 3D pour mieux comprendre l'évolution de l'appareil stridulatoire chez les grillons, mais aussi chez les sauterelles. Et puis, entre autres choses, je codirige actuellement une thèse en Nouvelle-Calédonie. Il y a tant à faire pour faire avancer nos connaissances !

Laure Desutter-Grandcolas / © Bertrand Desprez

Laure Desutter-Grandcolas

  • 1959 : naissance de Laure Desutter-Grandcolas dans la région parisienne.
  • 1985 : licence en biologie des organismes avec spécialisation en entomologie. Premières études sur une collection de grillons ivoiriens.
  • 1987 : Mission de trois mois et demi dans la forêt amazonienne.
  • 1991 : thèse de doctorat sur la phylogénie des grillons néotropicaux et sur la communauté de ces insectes tout au long d'une succession forestière de culture sur brûlis au Pérou.
  • 1994 : nommée Maître de conférences au Muséum national d'histoire naturelle. Enchaîne depuis lors missions de terrain, études et publications sur l'évolution, la phylogénie, les organes sensoriels et l'appareil stridulatoire de ces insectes.

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Couverture de La Salamandre n°216

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 216  Juin - Juillet 2013, article initialement paru sous le titre "La dame aux grillons"
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